Comment dire la magie qui soudain éclaire un visage gris?
Comment dire l’impact de l’instant partagé qui soudain libère ce qui était figé?
Les larmes qui coulent, un éclat de rire… un étonnement: – Ah, mais, oui!
Souvent, on me dit que ma voix éveille ce qui était endormi…
Souvent, on me dit … des choses si jolies, que j’accueille et mets en poésie.
Et si c’était « cela », en partie, le charme inouï d’un échange réussi?
L’écoute… le son… la voix… Une vibration qui nous lie bien au delà de nous mêmes
et alors, soudain, se produit, parfois… l’éveil d’un poème…
Comment suis-je devenue art-thérapeute ?
Cette concrétisation professionnelle est l’aboutissement d’un parcours d’enseignante de langues enrichi d’une aptitude de poète, écrivain, traductrice et assistante de vie. Ce parcours est partagé entre l’Argentine, ma terre de naissance, et la France, ma terre d’adoption.
Ma posture d’art-thérapeute consiste à proposer à des personnes en situation de détresse ou de décentrage, un espace poétique d’expression pouvant procurer un apaisement, un alignement de ressources intérieures individuelles.
Depuis mon arrivée en France, en 1981, j’ai été guidée par des circonstances providentielles à prendre soin des enfants dans un contexte ludique et créatif ainsi que des jeunes en situation de fragilité scolaire, d’adultes en quête d’intégration linguistique et sociale pour finir avec des personnes âgées atteintes de troubles de la mémoire.
Entre 2006 et 2013 je me suis investie dans l’accompagnement de personnes âgées à domicile et à long terme, en parallèle de mes activités littéraires. Lors de ces accompagnements j’ai eu l’occasion de me former auprès de professionnels des sections Neurologie et Psychologie de l’Hôpital Interurbain du Bouscat, près de Bordeaux.
La mise en poésie de l’un de ces accompagnements (voir la rubrique mes livres), fut saluée avec enthousiasme par les Thérapeutes du Langage et de la Communication -Phoniatres et Orthophonistes- membres de l’A.R.D.U.A (Association Régionale des Diplômés Universitaires d’Aquitaine) qui ont remarqué la justesse de l’expérience racontée en poésie dans le recueil « C’est où la Pentagonie ? » en lui accordant le Prix Premières Réalisations 2010.
En mettant en mots mon expérience, j’ai découvert que l’un de mes compatriotes, le docteur psychiatre et poète argentin Mario Buchbinder, Directeur de l’Institut du Masque de Buenos Aires, avait fait un travail élaboré et méthodique qui réunissait les deux aspects que je cherchais à approfondir :
- Prendre soin
- mobiliser les ressources créatives de la personne par l’utilisation poétique de la langue.
La question en face de laquelle je me trouvais exigeait de définir l’apport différent et valable que je me proposais d’offrir, ayant recours à ce que j’appellerais une « poétisation » des situations de détresse venant m’interpeller.
En même temps, encouragée par des médecins et des soignants ayant apprécié mon travail d’accompagnement associant sensibilité et créativité, je me suis engagée dans le défi de réussir le D.U. d’art-thérapie proposé par la Faculté de Médecine de l’Université de Poitiers. J’ai pu ainsi valider un acquis qui me permet maintenant de proposer un autre espace-temps d’expression à partir duquel la personne en souffrance à l’impression d’ouvrir une fenêtre qui l’aide à mieux respirer.
Amoureuse depuis toujours de la langue et de la littérature française, je m’inspire dans ma pratique, des grandes œuvres scripturales avec une prédilection pour Balzac et Proust ainsi que des poèmes possédant une résonance universelle telle que celle de Victor Hugo, Mallarmé, Verlaine, Rimbaud pour ne citer qu’eux.
En ce qui concerne l’impact de la poésie et de la littérature sud-américaine, j’ai été fortement inspirée par l’écrivain argentin Jorge Luis Borges mais aussi par le poète écrivain chilien Pablo Neruda ainsi que par Isabel Allende, sans oublier l’écrivain Gabriel Garcia Márquez. Imprégnée par le réalisme magique des Amériques, j’explore l’univers cartésien avec beaucoup de liberté et un brin d’espièglerie et d’audace qui rendent ma quête irrésistible aux yeux de tous ceux qui m’entourent de leur bienveillante acceptation en France.
Qu’est-ce que l’art-thérapie ?
Art (du latin ars) : habileté, savoir faire, connaissance. Art (du grec tekhné) : technique(s)
Thérapie (du grec ancien) : Servir, prendre soin ; traitement.
Poésie (du grec poiêsis) : création
Art et soin sont liés depuis la nuit des temps. Entre les riches enseignements du passé et la recherche incessante de nouvelles voies de guérison, je vois l’art-thérapie comme un sentier plein de promesses pouvant livrer des trésors de connaissance à tout voyageur sincère et aventureux.
L’art-thérapie épouse et propose une démarche qui me touche de l’intérieur. Dans ma perception, elle est indissociable de la quête du poète, fervent chercheur d’infini. C’est un outil de transformation véritable, à condition de vivre le processus correspondant -qui fait d’un homme ou une femme un artiste dans la manière de soigner- avec un engagement profond de tout l’être. Aider un patient à croire et l’engager à participer dans le jeu de création de sa propre guérison « c’est remettre en mouvement quelque chose de figé, souvent de façon douloureuse, c’est puiser dans ses propres sources vives et se dépasser » -nous dit l’éducatrice spécialisée et art-thérapeute Blandine SERRA dans son livre « Voyage vers l’art-thérapie »
Cette capacité de « puiser dans ses propres sources vives et se dépasser » se produit toujours par une rencontre que le créateur du psychodrame, J.L. Moreno, a décrit comme suit :
« Une rencontre à deux, yeux dans les yeux, face à face.
Et quand tu seras près de moi, je prendrai tes yeux pour
Les poser à la place des miens, et tu prendras mes yeux
Pour les placer à la place des tiens. Et alors je te regarderai
Avec tes yeux et tu me regarderas avec mes yeux »
On ne peut réduire un objet d’étude aussi vaste que l’art associé à la thérapie à quelques phrases répétées d’auteurs connus et sans cesse cités. C’est à travers une analyse et une approche holistique et pluridisciplinaire que nous allons pouvoir mieux saisir l’ampleur de ce phénomène qui nous oblige à nous redéfinir -thérapeutes et patients, accompagnants et accompagnés- tous en même temps.
Rôle et mode opératoire de l’art-thérapeute poète
Dans le paysage médical de notre temps, l’art-thérapeute est là pour aider à mieux voir. Par cette action, il peut apporter un peu de lumière là où la grisaille et les ténèbres ont envahi l’entendement. Cette affirmation est particulièrement saisissante dans mon cas, lors des interventions auprès des gens qui ont des trous et des troubles de la mémoire (voir rubrique Mes accompagnements).
Quand une parole apaisante est posée, quand un poème est lu, quand une mélodie est écoutée ou un tableau est regardé à deux, il se crée entre le lecteur et l’auteur, entre l’œuvre et le créateur, une rencontre intime qui peut changer la nature même de ce qui a préexisté.
La complexité du monde peut provoquer dans l’intériorité de tout individu un mouvement non exempt de violence. Ce mouvement appelé émotion peut désorienter et déstabiliser aussi bien sur le plan physique que sur le plan psychique. Ces débordements dus à l’expression désordonnée des émotions, peuvent être canalisés par l’approche de l’Art ou des arts. L’art-thérapeute, au sein de l’équipe soignante, peut apporter par sa vision poétique du monde, un souffle nouveau.
Il convient de rappeler ici la définition du poète telle que donnée par le Docteur en Littérature Française Brigitte BERCOFF dans son livre « La Poésie » :
« Le poète est celui qui sait reconnaître et révéler l’harmonie que chacun peut sentir, parce que son intériorité laisse transparaître le monde » Et encore : « Chaque poème tire à soi toute la création, parce que chaque chose regardée convoque tout l’horizon, chaque mot suppose toute la langue. C’est en laissant jouer en lui toute cette totalité que -selon René Char- le poète devient apte à formuler sa singularité ».
Cette notion de totalité me renvoie à la définition du mot « vivre » par le docteur pédiatre, psychiatre et psychologue Donald WINNICOTT pour qui : « Vivre est la capacité d’être dans l’expérience totale ». Cette capacité implique le fait de nouer des liens avec autrui et avec le monde, mais aussi et surtout, la capacité d’établir des liens avec sa vie intérieure ». C’est en ce domaine que le thérapeute poète peut se révéler un auxiliaire précieux.
Notes extraites du Mémoire d’Art-thérapie de Letizia Moréteau soutenu le 10/01/2017